Dans le quartier Nord de la capitale, là où se dressait jadis la tour TBR qui fut longtemps le siège de Belgacom, deux tours elliptiques dessinées par Assar Architects cassent les codes tout en apportant à leurs occupants un confort de travail rare à Bruxelles. Sœurs et non jumelles, les deux nouvelles tours ne sont reliées entre elles que par un auvent en forme de ruban de Möbius, justifiant le nom du projet développé par Immobel en partie pour le compte de l’assureur Allianz.
Nous sommes en 2015, 9 jours avant la fin de l’appel d’offres organisé par Allianz. Immobel contacte Assar pour que le bureau, qui fête alors ses 30 ans d’existence, dessine un projet susceptible de convaincre son client. Pierre-Maurice Wéry, architecte associé chez Assar, se souvient : « Christophe Van Poppel, associé chez Assar, avait déjà dessiné des projets elliptiques et courbes. Une voie qui a permis de créer deux objets sur le site, l’un parfaitement taillé pour le programme d’Allianz et l’autre sur le reste de la parcelle. Le tout pour environ 62.000 m² utiles. À l’avant-plan, une tour plus petite, profilée pour qu’elle soit marquante (rez + 19, siège d’Allianz Belgium), devant sa grande sœur (rez + 23, récemment acquise par la Régie des Bâtiments). Nous avons conseillé à Immobel d’acheter un terrain inexploité entre le site et des logements sociaux existants pour éliminer à jamais les voitures hors-sol. Cela a permis de dégager les rez-de-chaussée, de les concevoir traversants, entourés d’espaces publics et d’un jardin afin de créer une image forte, sur un terrain qui n’était pas si grand que cela. » Ces deux volumes elliptiques se sont très vite révélés novateurs tant au niveau de l’image qu’au niveau du plan, ce qui a séduit Allianz. S’en est suivi un travail de mise au point détaillée des deux tours.
Dans le respect des normes, les escaliers de secours ont été noyés dans le noyau central. C’était la première fois qu’Assar construisait des bâtiments élevés sans couloirs RF coupant les plateaux en deux. De tels plateaux libres à 360 degrés étaient alors une première à Bruxelles. Une immense majorité des postes de travail sont ainsi directement en façade (endéans les 7 m) et bénéficient d’un maximum de lumière du jour.
Les tours arborent sur leur sommet une sorte de heaume avec vantelles. Celui-ci cache de la vue les installations techniques des étages de bureaux, qui ont été placées en volume extérieur couvert, abritées de la pluie par un auvent métallique. De la sorte, ces surfaces non fermées n’étant pas comptabilisées sur la base de la réglementation en vigueur à Bruxelles, les concepteurs ont pu améliorer la performance du bâtiment en termes de surface vendable offerte. Ce qu’ils ont d’ailleurs aussi fait au pied des tours en supprimant les parkings hors-sol.
Lumière du jour pour tous ou presque, triple vitrage, plafonds climatisants réversibles, récupération des eaux pluviales, jardin à l’arrière pour la biodiversité, confort visuel, emplacements pour vélos avec vestiaires, utilisation de bois labellisé, gestion des déchets de chantier, sans oublier la localisation du projet à proximité de la Gare du Nord : autant d’aspects qui ont compté pour décrocher une certification BREEAM Excellent pour ces tours passives (PEB 2015).
Charlie Malou, architecte associé ayant géré la conception d’exécution et le suivi de chantier : « Le système de plafonds rayonnants est un optimum énergétique et acoustique. Malgré la forme du bâtiment, les îlots sont rectangulaires, sans pertes de matière, et l’espace entre eux permet de bénéficier de l’inertie de la dalle en béton. Ils ne touchent pas la façade et sont laissés sans cache-rail. On voit donc le béton, les gaines… un côté brut qui a été bien accueilli par Allianz ». Une certaine sobriété dans les finitions qui colle bien à la philosophie BREEAM. Là où certains tentent de faire impression avec un jeu de matériaux fort complexe, ici la forme, la lumière et la vue suffisent, le reste est superflu.
On aurait pu penser que la forme elliptique des tours entraînerait des pertes importantes au niveau des matériaux, mais il n’en est rien. Par exemple, pour les hourdis, l’architecte a très vite réalisé un plan de pose afin de prouver qu’il était possible de travailler avec des hourdis classiques plutôt que du béton coulé sur place. Seuls certains éléments de rattrapage entre hourdis l’ont été. Résultat : les tours ont été érigées très rapidement, au rythme de presque un étage de gros-œuvre par semaine. Le noyau a été monté avec coffrages grimpants, puis ont été placés les éléments préfabriqués d’Ergon et enfin les façades. Tout avançait ainsi en parallèle, avec un décalage de quelques étages entre le cœur et l’enveloppe.
Suivant leur orientation, les façades ont été conçues différemment. Preuve de son importance dans le projet, la façade a d’ailleurs fait l’objet d’une procédure de marché atypique, avec appel d’offres spécifique. Assar a proposé à Immobel de contacter en direct 3 façadiers et de leur proposer un appel d’offres « rapport qualité-prix » en leur laissant une grande liberté technique, en étroit dialogue avec son meilleur expert en façades, l’associé Philippe Gérard.
« Le façadier retenu, imposé en sous-traitance à l’entreprise générale sur la base d’un cahier de charges de performances, nous a convaincus », raconte Pierre-Maurice Wéry. « En produisant les vitrages en 3,20 m au lieu de 2,70 m, avec des allèges plus minces, on évitait les chutes de matériaux et il suffisait de sprinkler le bâtiment pour respecter la norme incendie des bâtiments hauts. Allianz, en bon assureur, a tout de suite compris l’intérêt de la chose. Un bel exemple d’optimisation concertée entre le promoteur, l’acquéreur final, le façadier et l’architecte, tous y gagnant quelque chose. Non seulement nous avons respecté le budget, mais nous sommes parvenus à améliorer le bâtiment par rapport au permis de bâtir. »
Charlie Malou : « En façade sud, une double peau permet de limiter les apports solaires tout en affinant la volumétrie de la tour. La protection solaire est assurée par la présence de planchers en caillebotis à chaque étage ainsi que par la réflexion sur le vitrage extérieur. Ce vitrage extérieur fait également office de garde-corps pour la terrasse de la salle du Conseil au dernier étage. Des entrées d’air dans la double peau ont été aménagées pour créer un effet de cheminée et extraire la chaleur. » Pour Allianz, l’architecte a de plus opté pour un vitrage brillant et légèrement bleuté, ce qui donne une tour très vivante, réfléchissant les couleurs du ciel au fil de la journée. Depuis l’intérieur, la teinte bleutée du vitrage apporte inconsciemment une impression de beau temps, même par ciel gris…
Le socle des tours (rez et +1) est recouvert de pierre naturelle, pour une accroche plus solide à l’espace public. Les halls d’entrée sont eux largement vitrés sur le boulevard et participent activement à la vie de l’espace public. Entre ces socles et les tours de verre serpente au niveau +2, sous la forme d’un ruban de Möbius, un auvent en aluminium, qui a donné son nom au projet.
Considérant l’ancienne tour TBR et ses abords phagocytés par un socle empêchant toute socialisation, les tours Möbius sont aussi une réussite en ce sens qu’elles ont permis la création de nouveaux espaces publics à leur pied, avec une dilatation des trottoirs et une terrasse Horeca fort agréable. En leur sommet, les tours sœurs enrichissent la skyline bruxelloise avec leurs toitures soignées, les architectes ayant suivi en cela les demandes des pouvoirs publics.
Pierre-Maurice Wéry : « Möbius est la preuve que notre façon de travailler, associant plusieurs profils complémentaires, permet de réaliser des projets qui ont peu de points faibles. Concepteur-designer, metteur au point, responsable du suivi de chantier, project manager… ainsi que pas moins de quatre associés ont chacun apporté leurs compétences spécifiques au projet. C’est pour Assar une source de grande fierté. »